Le mental et la compagnie durant le PCT

 

Le mental

 

La plupart des marcheurs qui abandonnent au-delà de Kennedy Meadows, le font "parce qu'il en ont marre".  C'est dire que cela ce passe surtout dans le tête!

 

Il est difficile de réaliser avant d'y être la dimension supplémentaire que la durée, cinq mois pour  4.000Km, apporte de radicalement différent à une telle expérience. Le but devient bien trop lointain pour y penser: on ne va plus d'un point A à un point B, on marche, jour après jour après jour; le bivouac quotidien apprend à vivre sur le chemin, par terre, en pleine nature; avec un ravitaillement tous les quatre jours, la simplicité, la frugalité, la monotonie alimentaire s'installent. Entre hypnotisme et émerveillement, la marche s'impose comme une drogue, pour elle-même. Impossible de se dire "je verrai ça à l'arrivée", les problèmes se règlent là, tout de suite, sur le chemin. L'immensité de l'espace américain place le marcheur au centre d'un vide qu'il doit peupler.

 

La compagnie

 

 La plupart des aspirants au PCT démarrent seuls, mais vingt-cinq à cinquante personnes partent chaque jour et il est inévitable de rencontrer des compagnons (anglophones!). Alors, en groupe ou seul? Ce choix qui modifie radicalement le vécu du PCT.

 

Marcher en groupe, c'est profiter d'un camaraderie précieuse dans les moments difficiles, au soir des longues journées de marche, dans les heures noires de doute ou de douleur; c'est bénéficier de l'aspiration créée par les meilleurs, de l'émulation qui apporte ce petit supplément de courage à l'instant où il fait le plus défaut; c'est tisser une fraternité dense. Mais c'est aussi masquer l'immensité par un sac à dos au premier plan et le silence par trop de paroles.

 

 Mais marcher seul... ah, marcher seul! C'est sentir cette immensité se fondre en soi, c'est le silence qui rend présent, c'est le sentiment d'être à la naissance du monde. C'est la nuit qui murmure un chant d'appartenance pour peu que l'on se laisse pénétrer. C'est oublier la carte parce que le chemin se déroule et qu'on y est bien, qu'on y est chez soi, qu'on y est soi. C'est aussi des moments de doute, parfois de peur, à gérer tout seul en puisant dans des réserves ignorées.

 

A condition de parler un peu anglais, trouver des compagnons de route est évident lors du départ: durant le premier mois, il est inévitable de partager au moins des emplacements de bivouac avec les autres marcheurs. Il est donc inévitable de nouer connaissance et facile de former des groupes plus ou moins stables. Le plus souvent, des petits groupes de marcheurs aux vitesses compatibles se forment spontanément et sont faciles à intégrer. Le PCT forme une communauté réelle et humainement dense et une bonne moitié des marcheurs arrive seule au départ. Par contre, de nombreux marcheurs préfèrent rester seuls et les bonnes manières sur le PCT exigent de ne pas s'imposer si vous sentez une réticence.

 

Trouver un partenaire avant le départ est plus problématique, à moins de très bien le connaitre en tant qu'ami et marcheur. En effet, il est indispensable de marcher au même rythme, d'avoir des tolérances à la fatigue comparables, des goûts alimentaires compatibles et de supporter les odeurs, maniérismes, ronflements et commentaires de l'autre: sur cinq à six mois, ce n'est pas évident du tout (comme prélude à un mariage, je suppose que c'est un test idéal). Mieux vaut, à mon avis, partir seul et créer son groupe en cours de route car  partir à deux et se séparer plus tard pose la question du partage et du remplacement partiel du matériel commun, sans parler des sentiments froissés.

 

La fatigue

 

Le PCT impose de marcher à une moyenne proche de 30km par jour durant plus de cinq mois. Si l'on pas été inconscient en partant à fond, cette fatigue passe par plusieurs phases:

 

1) il y a d'abord la fatigue du départ, les muscles qui protestent, la machine qui peine à s'habituer aux nouvelles contraintes. Cette fatigue là passe normalement au bout de trois à cinq semaines.

 

2) il y a aussi la fatigue de fin de journée, inévitable et normale: une bonne nuit de sommeil et ça repart.

 

3) mais, au bout de 6 à 8 semaines, une fatigue de fond s'installe, plus discrète, qui sape en sous-main. Si on y est pas attentif, peu à peu tout devient difficile, chaque jour devient dur, le plaisir s'efface, le PCT se transforme en parcours du combattant où le seul but est d'avancer. La lassitude mentale, issue de la fatigue, peut aussi apparaître et nous interroger sur le pourquoi de cette aventure. Ma défense ? D'abord s'imposer une halte tous les 6-8 jours, que l'on sente la fatigue ou pas. Le repos: indispensable pour durer, attendu avec impatience, mais urticant quelques heures plus tard. Car marcher devient l'état naturel du randonneur, nécessaire, indispensable au bonheur: la marche au long cours est une drogue dure et addictive qui mène, si on y résiste pas de temps à autre, à l'épuisement et à la rupture. Cela ne suffit en général pas et le dégoût du chemin finit par faire surface. A ce moment, il faut se poser quelques minutes, heures, voire jours s'il le faut, pour laisser l'émerveillement du chemin reprendre le dessus. Et faire preuve de patience. Oui, la simple patience aux heures de déprime, de douleur ou de méforme: se dire que tout est transitoire, tout passe et qu'il suffit de continuer à mettre un pied devant l'autre en attendant d'aller mieux. Simpliste? A dire, oui, à faire, pas tant que ça: essayez, ça fonctionne. Le temps est un torrent qui dévale les jours de forme, semble stagner en mares boueuses les jours de douleur, mais passe toujours pour peu qu'on l'oublie: je n'ai plus de montre.

 

Pour terminer, ne soyez pas extrémiste: ce n'est pas tout ou rien. Examinez l'idée d'un PCT par étapes.