Journal de marche du CDT

 

Section 7 : Salida à Grand Lake

11-23 juillet, 285 miles, 18.600m de montées, 156h de marche

Cette dernière section est en deux parties: celle commune avec le Colorado Trail et la partie purement CDT.

 

La première est facile, bien marquée, agréable. La saison des pluies est bien entamée et le ciel se couvre dès 14h, mais entre prudence et chance, je serai finalement assez peu arrosé et ma tenue de pluie Zpacks se montre à la hauteur.

 

Comme les dénivelés sont d'environ 1.300m par jour, je ne fais guère de 30-35Km par jour. Parfois, au détour d'un épaulement, je découvre des vues à couper le souffle de lacs de montagnes, de moutonnement rocheux, de contrastes saisissant entre une paroi blanche et un ciel noir d'orage, entre le rouge des oxydes de fer et les jaunes violents des rejets de mines.

 

 

Le Hope Pass coté ouest est sans doute la montée la plus raide que j'ai faite, mais je suis tout de même doublé par un coureur: chapeau! De l'autre coté, une descente belle et facile me conduit à Twin Lakes. Contourner ces deux lacs est long, chaud et ennuyeux: je décide de couper entre les deux en pensant passer à gué le canal qui les relie... oui, mais il est profond de 3m et large de 30! Têtu, je refuse de rebrousser chemin et réussi à faire du bateau-stop pour traverser. Le magasin de Twin Lakes est une sympathique halte de marcheurs où j’engloutis un énorme burger en récupérant ma boite de ravitaillement.

 

Entre les marcheurs du Colorado Trail et ceux qui montent aux sommets voisins, il y a beaucoup de monde, y compris des bizarres comme ce type en kilt écossai et révolver (réel) à la ceinture, ce pseudo indien armé d'un gigantesque couteau de chasse à la Rambo, ou  cette grand-mère avec son petit-fils et deux lamas de bât.

 

Je croise un groupe d'enfants noirs avec leur guide: on les remarque car très curieusement, il n'y a pas de noirs sur les chemins de marche américains et très peu d'asiatiques: la marche semble n'être pratiquée que par les blancs.

 

 

Encore une belle crête facile de 900m à passer et j'arrive à Brekenbridge, autre jolie petite ville de villégiature faite de maisons en bois plus originales les unes que les autres, y compris la très agréable Fireside Inn qui offre des petits dortoirs pour 35$ et où je vais passer deux nuits.

 

 

 

Ce sera ensuite le dernier jour confortable sur le CDT/CT avant de bifurquer au nord par des crêtes magnifiques, venteuses et dépourvues de traces. Par endroit, il faut réellement faire très attention à une chute possible. L'itinéraire monté et descend par bonds de 200-300m le long de crêtes vertigineuses, le vent souffle à plus de 70Km/h, le soleil joue sur les versants rouges sang, les descentes sont acrobatiques sur des pentes herbeuses sous l'œil amusé des chèvres de montagnes qui me trouvent bien empoté. Cette fois ci, la rivière est blanche plutôt que rouge de dépôts minéraux et je dois aller chercher une minuscule source sur les versants.

 

 

Le lendemain est une nouvelle journée de ouf: longue ascension sur la crête qui monte, qui descend et qui s'affine jusqu'à devenir un vrai parcours de montagne; en montée, cela reste de la grimpette facile si on a pas le vertige, mais les descentes sont à faire peur, avec des éboulis instables qui menacent de partir sous le pied alors que de l'autre côté, c'est vertical. Le CDT monte ainsi jusqu'au point culminant du parcours, à 4.300m. La descente, elle, est de tout repos par un large chemin facile très fréquenté par les randonneurs du dimanche.

 

 

Un feu de forêt va de nouveau me forcer à changer d'itinéraire, mais le petit sentier en balcon que j'emprunte est digne du CDT puisqu'il disparaît de temps en temps et m'offre un magnifique emplacement de bivouac sous des arbres morts tourmentés à souhait. Nouveau col, nouvelle vallée et passage à Empire où un gros plat de lasagnes me remet en selle pour la montée suivante que je vais partager avec des 4x4. Deux mois que je marche, et la fatigue de fond du marcheur longue distance commence à se faire sentir: les fins d'après-midi sont souvent difficiles et une cheville, maltraitée par les pierres et les torsions, commence à donner des signaux d'alarme.

 

 

Nouveau sommet à 4.000m et nouvelle crête sans chemin. En contrebas, les lacs ne sont pas encore dégagés des glaces. Vent, fatigue. Au col avant la descente, un orage me manque de peu, un autre éclate juste après le montage de la tente: je continue à avoir de la chance. Le lendemain, récompense des départ matinaux et de mon silence, je surprend un gros orignal mâle: il est un peu loin pour les photos, mais l'animal a la réputation d'être sérieusement dangereux et je reste à distance. Bien que la journée soit facile, je suis très fatigué: j'ai besoin de quelques jours de repos, mais comme mon avion est prévu dans une dizaine de jours, c'est un peu idiot de se poser 5 jours pour ne faire ensuite de 2 ou 3 jours de marche. C'est donc décidé, je m'arrête cette année à Grand Lake ce 23 juillet, d'où je repartirait l'année prochaine si tout va bien.