Textes de slam de Jéhan

 

 

Urbain V

 

Pour que vous sachiez un peu l’itinéraire de ce chemin

Ça fait passer par les lieux qui ont marqués la vie d’Urbain

On part de Nasbinals pour se rendre jusqu’au palais des Papes

En passant par la cathédrale de Mende et le château de Grizac

 

C’est vrai qu’à deux le voyage prend une autre tournure

Ensemble H 24 on se retrouve parfois à l’étroit

Les kilomètres vont créer entre nous une soudure

Liés comme le pied gauche peut l’être avec le pied droit

 

Seul on va plus vite à deux on va plus loin

L’impression qu’on ne fait que suivre le fil du destin

On brave le froid, on en bave parfois, on sent une main nous pousser

Le chemin est un courant qu’il nous faut à chaque instant épouser  

 

Ca fait du bien de passer les journées dehors

Le soir on note tout dans notre carnet de bord

On a deux travails je dirais même deux métiers

Celui d’écrire et en premier lieu celui de marcher

 

L’aventure c’est avancer un pas après l’autre

Et ça commence dès l’instant qu’on franchi le pas de la porte

Lorsqu’on tend les bras à l’inconnu qu’on ne perd jamais espoir

Qu’on part le matin sans savoir dans quels draps on dormira le soir

 

A Florac on a mangé le poulet mafé dans un hlm

Plus on avançait plus on sentait se briser les chaînes

Avec un seul bout de fromage on était proche de l’ascèse

Au Pont de Montvert Ginette nous a sauvé quand on était HS

 

Au signal du ventalon même si le vent soufflait très fort

Il y avait un tel panorama qu’on n’en frissonne encore

A St Gilbert de Calberte on a eu une chance folle

Jean-Luc nous a hébergé dans son mas cévenol

 

On a tourné le dos aux Cévennes en entrant à St Jean du Gard

Où nous avons été accueillis comme des princes dans le village de Massillargues

Quand la fatigue se mêle à l’émotion la fébrilité devient palpable

La beauté du chemin nous transperce à nous arracher des larmes

 

Un peu plus tard une étoile a encore brillé à St Maximin

Papi Maurice et Mamie Jo avait le cœur sur la main

Ils nous ont confié juste avant de rejoindre leur lit

« Merci, vous avez changé pour quelques instants le cours de notre vie »

 

Ils m’ont offert une leçon d’humilité, qu’est-ce que j’ai accompli de grand ?

Que peuvent valoir mes 25 km par jour devant une vie de 86 ans ?

Avec la lumière dans leurs yeux, il m’ont rappelé que la jeunesse n’avait pas d’âge

Et que l’amour se manifestait avant tout dans le partage

 

Bien sûr l’itinéraire nous a fait passer au célèbre pont du Gard

Ca nous a fait tout drôle de marcher les deux pieds dans l’Histoire

Pas un seul touriste il n’y avait là que deux pèlerins et leurs sacs

Qui marchaient fièrement et gaiement sur le chemin d’Urbain V

 

Rien ne sert de courir à perdre haleine

Un pas après l’autre à chaque jour suffit sa peine

Si on ne focalise pas sur la destination, on avance et de fil en aiguille

Un jour on regarde la carte : Avignon nous paraît soudainement accessible !

 

Si vous voulez j’ai voulu faire comme dans les films vous proposer un bêtisier

Un petit bonus pour vous partager deux trois anecdotes qui nous sont arrivées…

 

En fait, chez Sonia j’ai dis que je pouvais dormir par terre, en gentleman

Je voulais mettre un point d’honneur, parce qu’il n’y avait qu’un seul canapé lit

Mais à une heure du mat comme j’avais beaucoup  trop mal

Et que je ne dormais toujours pas, j’ai dis pousse toi Aurore je veux de la place moi aussi

 

C’est vrai j’avais promis de lui offrir un resto si on arrivait à la fin du périple (pour la motiver)

Mais est-ce que je suis radin, ou est-ce qu’on voulait fêter ça sobrement ?

Toujours est-il qu’on a fini avec kebab et tacos dans un jardin public

Parce que finalement le pique-nique c’est le meilleur des restaurants

 

Moi souvent chez les gens, j’expliquais que j’étais cuisinier plus que pâtissier

Pendant qu’Aurore malade et ballonnée était parti chier

Je parlais fort pour cacher le bruit de l’explosion dans les toilettes

Oups, elle m’avait fait jurer de ne jamais en parler dans mon texte

 

Voilà tout ce qu’on peut trouver quand on retire l’emballage

Mais sachez que sur le chemin y a plus grand chose qui nous fait honte

Je voudrais finir en vous disant que pour moi le voyage

C’est avant tout des paysages et des rencontres.

 

 

 

 

 

 

LA FLEUR AU CHAPEAU

 

 

Après la saison j’en avais gros sur la patate

 

Alors je suis reparti sur Compostelle au niveau de Figeac

 

J’avais du temps et comme je n’avais le goût pour rien

 

La seule chose qui me souriait s’était reprendre l’habit du pèlerin

 

 

 

J’avais besoin de profondeur, mon âme criait famine

 

Mais j’étais trop fragile pour nager dans un océan sans bouée

 

Là-bas j’avais l’impression d’aller retrouver ma famille

 

Sur ce chemin je pouvais me sentir seul et entouré

 

 

 

A mesure que j’avançais les choses qui m’obnubilaient

 

Se dégonflaient perdaient de leur importance

 

Par instant je me suis même surpris à jubiler

 

D’être à l’aventure, seul, sac à dos, en partance

 

 

 

Je crois que tout en marchant

 

C’est un mélange des deux que je ressentais

 

Quand chez soi plus personne ne nous attend

 

Est-ce qu’on appelle ça solitude ou liberté ?

 

 

 

Je voulais apprendre à marcher la fleur au chapeau

 

Respirer la vie avant de la voir faner

 

Remettre les pendules à l’heure, le compteur à zéro

 

Marcher libre et tranquille à la limite de flâner

 

Me décrisper tourner les paumes de main vers le ciel

 

M’abandonner pour aimer de façon inconditionnelle

 

 

 

Quelle joie de partager le repas à une même tablée

 

De goûter à la communion qui naturellement s’installe

 

Chaque pèlerin à son histoire nous sommes tous des éclopés

 

Même si dans l’éventail des soucis les miens ne sont pas de taille

 

 

 

On a soif parce que nous sommes des pots ébréchés

 

Le but c’est le chemin alors à quoi bon se dépêcher ?

 

Si on y met trop d’attente à l’arrivée on sera forcément déçu

 

La vie c’est dans l’instant, y a rien à côté, y a rien devant y a rien au-dessus

 

 

 

On chancelle on cherche l’équilibre à tenir debout

 

Parfois on tire un fil et on trouve dieu à l’autre bout

 

C’est la magie des rencontres et des circonstances

 

On fait confiance de toute façon tout est écrit d’avance.

 

 

 

 



 

LA SOLITUDE

 

quand elle m'attire je veux la fuir

mais si elle s'en va je vais la suivre

elle créé le vide et me remplit

elle me fait peur et me fascine

 

j'ai tenté de m'en passer plus d'une fois

mais elle refait surface quand je tente de la noyer

plus j'avance plus je la sens qui se déploie

par rien ni personne je ne pourrais la remplacer

 

parfois j'appréhende et mes jambes tremblent

quand elle me conduit sur d'inconnus sentiers

elle et moi on tente de marcher ensemble

là où personne d'autre que moi ne peut aller

 

à rien ni personne je ne peux m'attacher

si elle disparaît je suffoque et je m'éteins

elle vient nourrir une intense soif de liberté

alors je m'accroche à elle de mes deux mains

 

elle est indispensable à ce que je fais

là où certains dans leur vie l'ont banni

à l'heure de ma mort elle sera à mon chevet

je ne crois pas qu'il y ait meilleure compagnie

 

elle accompagne mes plus grands rêves mes voyages

m'a sorti de mes pantoufles en avant toute !

m'a poussé sur des chemins de pélerinage

sans elle je n'aurais jamais pris la route

 

c'est sûr je n'aurais pas connu l'aventure

elle me force à découvrir des terres inexplorées

il n'y aurait pas eu non plus l'écriture

si elle me fascine elle me fait aussi pleurer

 

elle me donne le tournis quand elle se montre

la fixer c'est plonger dans un puit sans fond

là où la peur et la plénitude s'affrontent

où la force et la fragilité se confondent

 

je la crains car elle me met face à moi-même

comme un miroir dans ses yeux je me révèle

main dans la main en silence on se promène

je me couche avec elle et avec elle je me réveille

 

il a fallu du temps pour se reconnaître

on a finit par s'apprivoiser au coin du feu

les soirées d'hiver à regarder par la fenêtre

où était le monde ? il n'y avait que nous deux

 

on ne peut pas se lâcher puisqu'on fait équipe

qu'importe ce que les autres disent ce que les autres veulent

je dois l'honorer pour garder mon équilibre

est-ce que sa présence me condamne à vivre seul ?

 

elle est ma plus proche alliée

elle m'accompagne entre douceur et secousses

je me sens infiniment seul et pourtant relié

dans sa simple présence il y a la présence de tous

 

quand elle m'attire je veux la fuir

mais si elle s'en va je vais la suivre

elle créé le vide et me remplit

elle me fait peur et me fascine : LA SOLITUDE

 

KILOMETRE ZERO

 

Je voulais changer de langue et de pays, changer d’air

Me retrouver en terre inconnu, perdre mes repères

Alors au dernier moment j’ai pris un billet à neuf euros

Pour faire le trajet en avion de Clermont à Porto

 

Je me suis mis à marcher sur le chemin de Saint-Jacques

A longer les sentiers avec ma solitude et mon sac

Je n’avais emporté ni carte, ni guide, ni aucun livre

Les coquilles marquaient le balisage du chemin à suivre.

 

Le chemin est une grande lessive qui mélange serviettes et torchons

On ne sait plus qui est qui on marche dans une seule direction

On perd nos titres, réduits au simple état de pélerin

On s’aperçoit avant tout qu’on est des frères, des êtres humains

 

Je me disais bien que ça faisait partie de l’expédition

Mais dans le dortoir y en a qui ronflaient comme des cochons

Pour ne réveiller personne je quittais l’albergue sur la pointe des pieds

Je sortais dans la pénombre et me plongeais dans un silence épais

 

Je voulais réveiller le soleil avant qu’il ne m’éclabousse

Je voulais embrasser la vie avec les yeux, avec la bouche

Les marques blanches et rouges m’indiquaient la direction

Marcher dans le matin frais me procurait de grands frissons

 

Est-ce qu’il peut vraiment y avoir quelque chose de meilleur

Que rompre l’habitude et partir aux premières lueurs ?

Quand le monde est encore endormi, que le soleil doucement s’étire

Que dans une ambiance mystique il nous donne un de ses tous premiers sourires ?

 

Les paysages défilaient entre les eucalyptus et les orangers

Ici j’avais beau dire « bom dia » je restais quand même étranger

Pour me faire comprendre je mêlais les trois langues en une

« En el camino » on ne me tenait pas rigueur de mes lacunes

 

Par moment je me demandais mais qu’est-ce que je fais là

A marcher comme un mouton vers Santiago de Compostela

Et puis finalement une force m’a poussée m’a tendue la main

Petit à petit j’ai goûté à  ce qu’on appelle l’esprit du chemin

 

J’aime cet instant quand l’heure de la soupe a sonné

C’est fou les ressources qu’on a qu’on n’aurait pas soupçonné

Tout s’équilibre sur le parcours, les peines et les joies s’égalisent

Après Valença Tui j’ai mis un premier pied dans la Galice

 

Je suis arrivé à Compostelle qui veut dire le champ des étoiles

J’ai été impressionné par la grandeur de sa cathédrale 

Mais je voulais aller plus loin encore, marcher jusqu’à Fisterra

Au kilomètre zéro là où l’océan nous ouvre ses bras

 

Je marchais pour mon père et pour tous ceux que j’aimais

Puis peu à  peu la ligne bleue à l’horizon s’est dessinée

Quand je suis arrivé sur les rochers du kilomètre zéro

Les larmes n’ont cessé de couler j’étais à fleur de peau

 

Que je me souvienne, je n’avais rien vu d’aussi beau

L’océan était la scène quand le soleil a fait son show

Y avait du bleu, y avait du mauve, y avait du rouge et puis du sang

Y avait ce soleil qui brillait de mille feux incandescent

 

Il a disparu derrière la mer dans ce théâtre sans rideau

Les spectateurs ont applaudis et sont repartis sans un mot ;

Demain d’autres pélerins viendront assister à la séance

Ils applaudiront des deux mains et repartiront en silence.